Semaine 19 : La Crète et Chypre

Cette semaine a été marquée par 3 évènements : une belle tempête, la choquante disparition de quelques 800 km en 1h10, et une fête de St Nicolas.

Choquant, mais beau.

Mais commençons par le commencement.

Mardi matin, après un léger stress et une mémorable suée consécutifs à une défaillance du réveil censé nous mettre sur le pied de guerre à 5h1/2 du matin, nous sommes arrivés à l’aéroport de Xania, remontés comme des coucous suisses, prêts à affronter la balance et nos 10 x 15kg fatidiques. On s’est bien entendu retrouvés avec des valises ouvertes devant le comptoir, et l’hôtesse, aux cheveux ultra-laqués et tenus en arrière par de multiples pinces, son petit foulard et son uniforme en nylon/tergal dont les teintes n’auraient pas déplu aux coloristes de chez Décath, qui nous regardait avec un air mi-pincé mi-consterné. Bref. Lorsque nous avons enfin vu le dernier sac glisser sur le tapis roulant derrière les rayons X, nous avons soupiré de soulagement. Mais pas pour longtemps.

On a commencé à attendre. Encore. Et encore. Dehors, on voyait les palmiers tordus par les rafales, il faisait un peu nuit à 13h, parfois le bruit de la pluie nous obligeait à parler plus fort. Les enfants, qui avaient hélas bien fait le plein d’énergie pendant ces 6 jours de repos forcé, étaient hystériques. Quelle belle salle de jeux, oui, que ce terminal, avec des chariots, des paniers pour mesurer les bagages à main, des rampes, du carrelage qui glisse, des fauteuils pour jouer à cache-cache, des endroits où prendre l’air absent, des gens à shooter, un service de sécurité à envoyer le plus possible pourrir les parents.

(qui du coup pourrissent les enfants).

Puis il a été écrit ‘Delay’ sur le tableau d’affichage. Puis, à 20h, le vol a été annulé cause météo. Nous avons eu 10 longues heures pour remercier le Ciel d’avoir été dans un terminal d’aéroport plutôt que sur les routes pendant que les éléments se déchaînaient au-dehors, et aussi pour constater à quelle point la créativité des enfants n’a pas de limites, tout comme l’énergie qu’ils sont capables de déployer. Nous avons eu tout le loisir de les contempler, atterrés, en les imaginant vissés sur une chaise, 6h par jour au moins, l’année prochaine. Chaque chose en son temps (Au secours). En attendant, quand les sacs nous sont revenus ce soir-là, nous n’avions plus l’étendard, probablement absorbé par un tapis roulant quelque part. Gros dépit.

Deux nuits plus tard, passées à nous vautrer dans le luxe le plus absolu aux frais de la compagnie et à profiter encore un peu de la chapelle des Capucins comme du petit port vénitien,

Bien agité, le petit port vénitien.

nous  sommes partis. Cette fois.

Depuis, il pointe le ciel par crises de quelques heures en disant ‘Hoooo, a’iooooon’.

800km sont passés sans aucun effort, et on a trouvé que ça avait  un petit côté indécent. Et nous sommes arrivés à Chypre, où les enfants ont immédiatement déclaré que c’était « encore plus beau que la Crète ».

Premier étonnement : à Chypre, on roule à gauche. Eh ben non, on savait pas. Second étonnement : on passe un temps certain à expliquer aux gens qui s’arrêtent à notre hauteur que oui, merci beaucoup, c’est très gentil, mais non, nous ne monterons pas à l’arrière de la voiture/du camion/du taxi/du wagon à bestiaux, parce qu’on marche, oui, on fait exprès, si si c’est promis, non on prend pas le bus, si on a l’argent pour, mais on marche, on y tient, c’est fait exprès, c’est un pèlerinage. Les gens pensent qu’on fait une erreur de traduction quand on dit qu’on est partis ‘fin juillet dernier’ ou qu’on rentrera chez nous ‘en juin prochain’. Ils sont vraiment prévenants, ici. Plus qu’en Crète. Et aussi, du coup, ils nous expliquent plus volontiers que ce qu’on fait ‘c’est dangereux’, qu’il ‘ne faut pas’, qu’il y a ‘un arrêt de bus, là-bas, il faut que vous preniez le bus’, police comprise. En Crète, la seule voiture de police qui s’est arrêtée pour nous demander des comptes nous a valu un gros sac d’au moins 2kg de clémentines. C’est autre chose.

Et enfin, il sera dit que nous sommes de l’Est. Enfin surtout moi. Le caverneux Yannick Pen-ar-Guear, comme son nom l’indique, vient de là. Mais connaît bien la région. En solide fille de l’Est, j’ai toujours fêté St Nicolas comme il se doit. Le 6 décembre, tu enfiles ton manteau le plus chaud, ton écharpe la plus épaisse, tu surcouvres tes enfants, tu n’oublies pas de poser un bol de carottes et quelques morceaux de sucre devant ta porte (j’en connais même qui mettent un verre de vin rouge) pour l’âne et son illustre cavalier qui est un peu un pochtron, et tu vas voir la parade qui obstrue toutes les rues de ta ville. Les chars passent, décorés et joyeux, leurs occupants te donnent des bonbons, la fanfare municipale est de sortie, tes enfants regardent tout ça avec des yeux émerveillés, tu sirotes un verre de vin chaud aux épices, tu manges des bretzels ou du pain d’épices en rigolant avec les gens, le marché de Noël est resté ouvert pour l’occasion, et tu rentres chez toi, congelé mais content, prendre ton goûter-dîner de St Nicolas en famille plus ou moins élargie, avec du chocolat chaud, des clémentines, des bougies. A chacun sa petite tradition, sa petite chanson adressée au grand saint, mais c’est un moment chaleureux, familial, un peu hors du temps, où le bon évêque vient récompenser les enfants sages, et le Père Fouettard leur mettre une bonne raclée  les punir s’ils ne l’ont pas été. Si t’habites pas trop loin de Nancy, tu ne rateras pas l’occasion d’aller le samedi suivant à la Basilique St Nicolas de Port, suivre l’immense procession aux flambeaux organisée chaque année par le curé de la paroisse, en association avec des popes, puisque St Nicolas est très fêté par nos frères orthodoxes. Ca aussi, c’est complètement bien.

Tout ça pour dire : St Nicolas, c’était cette semaine. Et nous l’avons fêté en nous arrêtant pour camper face à la plage vendue comme ‘la plus mythique de l’île’ par les guides touristiques : le Rocher d’Aphrodite.

Remarque bien : pas d’Aphrodite ici.

Les connaisseurs remarqueront vite sur les photos suivantes qu’en l’occurrence nous avons raté ledit spot de quelques kilomètres, mais en fait non. Car ce que tu ne sais pas, c’est que St Nicolas nous a offert, en plus d’un coucher de soleil absolument spectaculaire qui valait bien une parade,

Ah. Oui.

la naissance de Vénus, en direct live.

Zoome bien, tu verras, elle est là.

Oooh, avec une toge.

Ah, la belle pose gracieuse qui a inspiré Botticelli.

Un 6 décembre à se baigner dans la Méditerranée, on s’en souviendra longtemps. Et puis ensuite, nous sommes passés au festin, prodigieux. Pâtes, soupe, mélangés, de nuit parce qu’elle tombe à 17h. Voilà. Et un petit dessert, précédé de la petite tradition maison : une baffe, qui est bien la seule de l’année qui fasse rire les enfants aux éclats. En voyant les photos, tu dois te dire qu’il était un peu pitoyable, hein, ce dîner trop cuit. Mais tu sais quoi ? C’était trop bien. On avait froid, il pleuvait, et ça nous brûlait la langue. On a ri, Bubulle a marché sur des clémentines qu’on avait cueillies l’après-midi même sur un arbre qui passait par-là, on a chanté le refrain de St Nicolas de Port, les enfants sont allés chercher de l’eau de nuit avec leur père (une aventure digne des plus belles heures de James Bond), et on s’est couchés dans nos tentes, ensemble, en famille.

Quelle conclusion ? Evidemment, que la joie d’un événement ne tient certainement pas à la quantité de luxe qu’on y met. Ce à quoi il faut veiller, d’abord, et qui ressort tellement mieux quand tu n’as pas grand-chose de matériel à y mettre, c’est l’unité, et le fait que les personnes sont là les unes pour les autres, qu’elles reconnaissent avoir besoin les unes des autres, qu’elles ont confiance les unes dans les autres. Qu’on est contents d’être là, avec ceux-là. Et je crois qu’autour de cette gamelle de métal pleine de pâtes collantes, autour de ces 3 bonbons posés au milieu et dont il a fallu, quand même, surveiller qu’ils ne partaient pas tous dans le même estomac, il y a eu un peu de ça. C’était une super St Nicolas.

Ce soir, on est à Pissouri, entre Paphos et Limassol. On est à Bethléem moins 16 jours. 129^ème jour de pèlerinage. On arrive.

Voilà.

A…

…la…

…prochaine.